TRAVAUX
Citation N°1, Les oiseaux imprudents

A propos de l'ouvrage Humain trop Humain, Nietzsche parle de “ crise” : “Humain trop Humain est le mémorial d'une crise. Il s'intitule un livre pour esprits libres : presque chaque phrase y exprime une victoire - avec lui je me suis émancipé de tout ce qui est corps étranger”.
Cette crise est une reconquête de Nietzsche de sa propre personne, de connaissance de lui-même. Il s'agit d'une période de libération et délivrance pour se débarrasser de tous les préjugés tant positifs que négatifs au sujet de l'homme et ainsi de s'élever pour mieux comprendre l'humain, dans toute sa richesse et son mystère psychologique.
La plus grande des victoires est celle que nous remportons contre nous-même pour nous-même. Autrement dit, celle qui nous permet de nous débarrasser de ce qui n’est pas nous, de tout ce qui est “étranger” à nous, d’arrêter de nous trahir pour tendre vers notre vrai moi. Nietzsche précise que cet ouvrage n’est pas pour tout le monde, il s’agit d’ “un livre pour esprits libres”, pour ces “oiseaux imprudents”, prêts à prendre leur envol en acceptant le risque de renouveler leur compréhension de la réalité, de la vie, de l'humain et donc d’eux-mêmes. Dans cette quête d’émancipation, Nietzsche n’oblige personne, il invite : “quelqu’un veut-il me suivre sur cette voie ? Je n’y engage personne. Mais si vous voulez ? Alors allons-y !”
Qui est cet « esprit libre » ? Comment naît un esprit libre ? Comment se déroule ce chemin de libération ? Est-il difficile ? Nous le verrons lors de notre prochaine publication.
Amine LAZRAK
Citation N°2, La libération des oiseaux

La libération se déclenche par un événement décisif ou une rencontre ou séparation avec une personne qui va constituer une sorte de rupture dans notre parcours. Nous sommes déstabilisés car nos repères ne sont plus les mêmes, notre vision de la vie se métamorphose.
Ce moment difficile est certes douloureux, mais il nous permet de prendre de la hauteur, d’être capable d’envisager des opinions opposées aux nôtres. Autrement dit nous ne sommes plus enchainés par une manière unique de voir les choses. La liberté d’esprit est indépendance et courage d’accueillir et d’aller vers l’inconnu. La liberté d’esprit est libération d’esprit autrement dit elle est un processus continuel et quotidien. Elle n’est pas une qualité acquise, elle est un idéal à conquérir.
Un esprit libre étonnera toujours son entourage, car il vit selon des visions et des valeurs multiples. Sa personnalité est unique car il a le courage de s’auto-définir et d’être lui-même. A défaut de devenir tous des esprits libres, nous pouvons au moins nous mettre sur le chemin vers la liberté d’esprit : Accepter d’envisager des points de vue qui diffèrent des nôtres, accepter de découvrir l’inconnu, apprendre des difficultés de la vie pour prendre de la hauteur.
Ainsi, la libération d’esprit est un processus de métamorphose. Dans le cadre de la prochaine publication, nous verrons de manière métaphorique, en quoi consiste les étapes de cette métamorphose. Puis, nous tenterons de comprendre la signification des deux caractéristiques de la liberté d’esprit :
-la “maîtrise de soi”;
-la “discipline de coeur”.
Amine LAZRAK
Citation N°3, Les trois métamorphoses

Esprit -> Chameau : “ L’esprit robuste, aimant à porter de lourdes charges et que le respect habite”
Le chameau est une étape importante, bien qu’elle puisse être sous-estimée. Le chameau est celui qui sait respecter, qui sait reconnaître les règles d’un jeu et suivre les règles et affirmer sa force. Comme le disait Nietzsche dans d’autres passages, pour savoir commander, il faut savoir obéir. Le chameau sait obéir et veut assumer des responsabilités. Par cette simple explication, on peut dire que nombre de personnes ne sont même pas au stade du chameau.
Il est un pilier, un soutien et une base essentielle dans une fondation et dans une société.
Par ailleurs, le chameau est aussi celui qui sait faire preuve de patience et d’endurance, il peut parcourir de longues distances en plein désert sans eau. Il a une force mentale incroyable qui lui permet de surmonter les pires difficultés, et cela avec calme et humilité. Il avance, pas à pas, sans grandeur ou majesté mais avec certitude et sûreté. L’unique point qui va l’inciter à passer à la deuxième étape de sa transformation est le fait qu’il porte des charges qui ne sont en lien avec aucune vision, qui n’ont aucun sens pour lui et qui ne lui permettent pas de continuer à se développer.
Chameau -> Lion : “Mais dans le désert le plus reculé se fait la seconde métamorphose : l’esprit ici se change en lion : il veut conquérir sa liberté (...) pour des créations nouvelles” (...)
Le lion va conquérir la liberté, il va s’accorder les droits de créer et va se transformer en enfant, autrement dit, il retrouvera l’innocence des débuts, la l'innocence du créateur qui n’a de fin que la création elle-même. D’où la transformation brutale, féroce du chameau en un lion qui brise, rejette le passé, remet en cause les règles et qui est prêt à aller à l’aventure, à la conquête d’un nouveau monde et d’une nouvelle personnalité avec de nouvelles caractéristiques. Pour commencer à se définir, pour commencer à dire qui nous sommes, nous devons avoir conscience de qui nous ne voulons pas être ou ne plus être. Nous pouvons nous changer parce que nous voulons devenir une personne donnée mais parfois, soyons réaliste, nous changeons parce que nous sommes dégoûtés de certains aspects de notre vie ou de notre caractère et que l’unique option qui s’offre à nous est de : changer. Le lion se caractérise par le courage, l’audace et la prise de risque. Commencer une nouvelle vie c’est avoir le courage de tourner une page, le courage d’affronter le vide d’une nouvelle page et enfin le courage d’écrire une nouvelle histoire sur la page suivante.
Lion -> Enfant : "Pourquoi faut-il que le lion féroce devienne un enfant ? L’enfant est innocence et oubli, un recommencement, un jeu, une roue roulant d’elle-même (...) oui pour le jeu de la création”
La métamorphose du lion en enfant est possible par la maîtrise de soi et la discipline de cœur. En effet, si le lion rugit, l’enfant sourit et crée, il est symbole de l'innocence de la vie et de sa spontanéité. Il est libre, sans préjugés et conditionnements. L’enfant est celui qui joue, essaye, réussit, échoue et recommence. Il est celui qui joue sérieusement au jeu de la vie. Il est celui qui crée son château de sable, le laisse disparaître sous les caresses d’une vague, sourit et en recommence un autre. En effet, la vie est cet éternel recommencement.
Cette série de transformation en trois étapes se fait de manière cyclique. Autrement dit, l’enfant, avec le temps, peut redevenir chameau et amorcer à nouveau ses transformations.
Amine LAZRAK
Citation N°4, Les voyageurs et leurs degrés

Nietzsche apprécie particulièrement la métaphore du voyage et du voyageur et va l’utiliser de plus en plus dans différents ouvrages. Le voyageur est celui qui quitte sa zone habituelle pour aller vers des contrées lointaines afin de prendre ses distances tant sur le plan physique qu’intellectuel, psychologique et moral. Dans ce paragraphe, Nietzsche nous explique toutefois que les voyageurs se distinguent par leur attitude et la nature de leur regard. Il ne suffit pas, en effet, de se déplacer physiquement, pour voyager au sens plein du terme. Les voyageurs ne se valent pas.
Tout d’abord, Nietzsche se réfère au premier type de voyageur qui a uniquement la tenue, le fameux chapeau, le sac à dos, la bouteille d’eau…mais n’a pas le regard qui l’accompagne. Il est en quelque sorte un voyageur “aveugle”, car il ne prend pas le temps de regarder et de contempler le lieu qui ne demande qu’à être découvert par des yeux nouveaux ou étrangers. Cette apparence de voyageur est enfermée dans une sorte de coquille, ses sens, ses émotions, son intelligence et son identité ne sont pas touchés.
Puis, le deuxième type de voyageur sait regarder le monde et le contempler, il a une forme de curiosité et une capacité de prêter attention au monde par un regard vif et concentré. Toutefois, à la différence du troisième type de voyageur, il ne ressent pas d’émotions particulières. Autrement dit, il dispose d’une présence visuelle au monde sans présence du cœur, source d’ouverture et de réceptivité, nécessaires pour amorcer une transformation intérieure.
Quant au quatrième type, ils sont capables de mémoriser et de s’approprier en partie une certaine vision du monde issue du pays qu’ils visitent. Leur interprétation du monde et de la vie est modifiée. Leur transformation est uniquement intérieure sans manifestation en termes d’actions.
Enfin le cinquième type du voyageur, la plus élevée car elle comprend une série de transformations dues à une attention plus vive au monde, sur un plan sensible, émotionnel, intellectuel, social ainsi que psychologique et comportemental. Ce voyageur voit son identité et sa personnalité transformées car ses valeurs, autrement dit ses croyances intériorisées sont modifiées, et s’ensuit ainsi des actions nouvelles et différentes.
Ce paragraphe est capital dans la compréhension de la métaphore du voyageur, car il ne suffit pas de voyager, de se déplacer géographiquement afin que le voyage au sens noble du terme ait lieu. Une forme d’attention, d’ouverture et de réceptivité sont nécessaire dans un premier temps afin que la transformation puisse avoir lieu puis doit s’en suivre des actions, des comportements autrement dit la remise en cause d’anciennes habitudes (très souvent jamais questionnées mais uniquement héritées) par de nouvelles habitudes acquise grâce à de nouvelles influences, rencontres, et pratiques culturelles du nouveau pays.
Nietzsche veut également nous faire comprendre que nous sommes tous des voyageurs embarqués dans ce “navire” qu’est la vie. Chaque être vivant par sa manière de vivre correspond à une catégorie de voyageurs selon sa manière d’être au monde. Certains traversent la vie de manière aveugle, d’autres regardent, contemplent ou se transforment intérieurement pour agir extérieurement. Le “voyageur”(type 3-4-5) est celui qui regarde la vie comme changement perpétuel, réalité diverse et plurielle. Il se transforme en conséquence aussi. Vivre tel un voyageur (4-5) c’est garder cet état d’esprit souple, qui se transforme régulièrement, qui ne se fige jamais dans une opinion ou une habitude éternellement. Le voyageur (4-5) multiplie les points de vue pour saisir la richesse du monde et de la vie pour changer de manière pratique.
Et vous en tant que vivant quel type de voyageur êtes-vous ?
Ou question plus simple : lors du dernier voyage que vous avez réalisé, quelle catégorie vous correspond? la première ? ou peut-être la cinquième ? Pourquoi ?
Et dans la vie : êtes-vous figés ? mouvants ? Vos changements sont-ils réguliers, rares, trop récurrents pour avoir un minimum de stabilité nécessaire pour approfondir certains projets importants pour vous?
Amine LAZRAK
Citation N°5, L'art de la lenteur

Si un mot peut caractériser Nietzsche, c’est bel et bien la lenteur, que nombre de personnes considèrent comme un défaut mais que Nietzsche considère comme la reine des qualités. En effet, Nietzsche, avant de s’engager totalement dans la voie philosophique, à partir de la publication de son ouvrage Naissance de la tragédie, était philologue. Autrement dit, il était spécialiste de l’étude des langues et littératures grecques et latines à l’université de Bâle. Cette discipline se réfère en particulier au travail de lecture, déchiffrage et traduction des textes anciens.
Toutefois, dans la construction ultérieure de sa propre philosophie, Nietzsche va conserver certaines qualités typiques d’un philologue, notamment l’art de la lenteur. Nietzsche considère la réalité comme un texte à lire. Il nous invite à interpréter, analyser et comprendre la réalité tel un philologue qui lit son texte avec honnêteté et rigueur. La philologie constitue métaphoriquement une sorte d’attitude de lecture d’un texte : un roman, un journal mais aussi le corps lorsqu’on est un médecin, ou encore la réalité et les apparences lorsque nous sommes un philosophe, ou le passé, lorsqu’on est historien.
La philologie est cette discipline rigoureuse que tout homme honnête se doit d’avoir, elle est probité intellectuelle, attention au texte sans aucune intention de le déformer ou de l’utiliser à nos propres fins; en le manipulant, en le tronquant. Autrement dit, elle éduque à la prudence, la finesse, la précision. Elle est l’art de la lecture lente, non hâtive et précipitée. Cette lenteur est une attitude dans la vie qui consiste à ne pas réagir à toutes stimulations, à être capable d’avoir cet équilibre émotionnel pour être maître de ses actions, tant leur direction que leur intensité et rythme. Ainsi, “il ne réagit aux excitations de tout ordre qu'avec cette lenteur qu'il tient de ses disciplines : une longue circonspection et une fierté voulue” rajoute Nietzsche.
Cet art de la lenteur renvoie aussi à la patience et à la prudence dans le jugement. Eviter dans la mesure du possible d’avoir une opinion sur une chose ou une personne trop rapidement.
Enfin, comprendre que la réussite de tout projet demande un certain temps, qu’il ne s’agit pas d'accélérer, autrement on risque de l’avorter et de souffrir de stérilité. La force c’est notamment la patience dans l’effort et la concentration. C’est ce qui explique un autre merveilleux passage :
“Il est des esprit suprêmement doué dont la stérilité tient seulement à ce que, par faiblesse de tempérament, ils sont trop impatient d’aller jusqu’au terme de leur grossesses”
La créativité qu’elle soit extérieure ou intérieure autrement dit la création de soi-même exige la lenteur, la concentration de l’effort et de l’attention et la patience. Cela fera l’objet d’une autre publication plus approfondie.
“Apprenez à bien me lire” ! Bonne fin de semaine “chers amis du Lento” ! Merci pour vos messages d’encouragements et de propositions ! Nous sommes à votre écoute !
Amine LAZRAK